Lee Sang-woo : « Je suis drogué aux tournages »

Par Samuel Lorca

Interview de 이상우 Lee Sang-woo et de son actrice 차승민 Cha Sung-min juste après la projection de 지옥화 Fire In Hell à Jeonju 2012. Lee Sang-woo nous a en effet chopé juste à la sortie…

Nous avons besoin de quelques minutes pour digérer les images que nous venons de recevoir en pleine face…

Lee Sang-Woo : Oui, vous voulez boire un café avant de commencer l’interview? Je vous l’offre. Vous avez réussi à comprendre le film?

Oui, ça va. Il est aisé de voir que vous avez décidé de montrer les conséquences avant les causes, inversant toute une partie du récit. Et plusieurs personnages dérangés mentalement sont encore centraux dans ce film, leur comportement étrange venant étayer plusieurs zones obscures du film.

C’est ça. La plupart des commentateurs pensent que mon côte psycho s’est renforcé au contact de Kim Ki-Duk, avec qui j’ai travaillé, mais ce n’est pas vrai, j’avais déjà réalisé des films avant et j’ai toujours eu un intérêt pour le pervers.

« Le téléchargement payant de Mother Is A Whore m’a énormément rapporté… plus grâce à son titre qu’autre chose »

Vous avez de très nombreuses casquettes sur vos films. Réalisateur mais aussi acteur, scénariste, producteur, distributeur… 

Oui, même si je m’inspire souvent d’histoires réelles ou de simples faits divers, je ne laisse à personne le soin d’écrire la moindre ligne de scénario pour moi. En tant que producteur, je suis aujourd’hui capable d’investir un peu plus d’argent sur mes films car le téléchargement payant de 엄마는 창녀다 Mother Is A Whore m’a énormément rapporté. Cine 21 a rendu mon film téléchargeable pour $3,5 sur plus de 500 plateformes, et plus grâce à son titre qu’autre chose, des dizaines de milliers de gens ont payé pour le voir à travers le monde. Aujourd’hui, puisque son lancement en ligne date d’il y a plus d’un an, il est disponible pour seulement $1. La possibilité de télécharger Father Is A Dog interviendra dans quelques jours et nous espérons rencontrer le même succès. J’adore également jouer dans mes films et je désirais d’ailleurs vraiment interpréter le rôle du moine bouddhiste dans Fire in Hell, avant que des amis parviennent à me persuader que cela ne collerait pas. Ils ont eu raison, pour que le film fonctionne il fallait absolument que le moine dégage une sensualité brute.

Ce que réussit parfaitement dans votre film l’acteur 원태희 Won Tae-hee. Votre actrice est également magnifique (nous tournant vers elle) ; Aviez-vous déjà tourné autre part?

Cha Sung-Min : Merci beaucoup du compliment. Il s’agit de mon tout premier rôle. Je suis étudiante en Arts dramatiques et je me suis juste présentée à l’audition.

Lee Sang-Woo : Elle est trop modeste. Il a fallu qu’elle accepte de faire des essais très difficiles devant toute une équipe et s’en est très bien sorti malgré son manque d’expérience. Aussi, je dois avouer que je l’ai choisi à cause de ses petits seins. Je tenais à ce que le spectateur regarde la totalité de son corps, sa plastique générale, et qu’il ne se focalise pas sur une seule partie. Ce qui n’aurait pas manqué de se produire si l’actrice choisie avait eu une plus grosse poitrine.

« J’ai choisi l’actrice aussi à cause de ses petits seins, je tenais à ce que le spectateur regarde la totalité de son corps »

 (Désirant que l’actrice, malgré sa timidité nous parle un peu plus, nous lui reposons une autre question) Comment avez-vous ressenti la direction d’acteurs de Lee Sang-Woo. Sa manière de vous diriger vous a-t-elle paru très directive ou au contraire plutôt lâche ?

Cha Sung-Min : Les deux à la fois. Il pouvait insister fortement sur certains détails et au contraire nous laisser improviser de manière assez déroutante.

Lee Sang-Woo : Oui, c’est ça. Par exemple pour les scènes d’amour je donnais un minimum de directives. J’ai laissé mes acteurs exprimer librement et totalement le désir qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre au moment des prises. Ils faisaient absolument ce qu’ils voulaient et nous filmions.

En tout cas les scènes d’amours dans le film sont une vraie réussite. Mais ce que vous dites m’étonne. J’avais pensé au contraire que vous aviez donné des directives très précises pour accentuer « l’aspect animalier » de ces séquences. On a l’impression que les deux acteurs s’approchent et se déplacent sur le corps de l’autre, comme des lézards ou des araignées se déplaçant sur un mur en pierre, avec de soudaines accélérations, des ralentissements, des pauses, des mouvements saccadés etc. Vous semblez aussi avoir coupé des images pour accélérer la cadence et conférer une certaine étrangeté à ces ébats.

Lee Sang-Woo : Vous voulez parler de la scène devant le miroir avec les trois images qui se superposent ?

Pas vraiment, une autre m’a parue plus réussie, celle où les deux personnages débutent l’acte dans un couloir, puis emporté par leur élan et leur fougue, s’engouffrent et tombent dans une autre pièce. Il semble à un moment que vous souhaitiez jeter un voile pudique sur la suite de la séquence, qu’il est facile de deviner, mais finalement non, la scène d’amour reprend de plus belle dans la chambre. A ce moment, la scène est si torride, que l’image semble légèrement accélérée.

Non, il s’agit d’un long plan-séquence et je n’ai absolument pas modifié le tempo ni trafiqué l’image d’aucune sorte. Cependant nous avons du faire énormément de prises pour avant d’obtenir un résultat satisfaisant. De plus, comme j’écris la plus grosse partie scénario sur le plateau, cela ne plaît pas à tous les acteurs de travailler avec moi, car les tournages sont très éprouvants.

« J’ai tourné quatre films l’année dernière, je suis drogué aux tournages »

Malgré le nombre important de prises que vous évoquez, vous semblez tout de même travailler assez rapidement.

Les prises de vues pour Fire in Hell ont pris 24 jours, avec la moitié du tournage aux Philippines et l’autre moitié en Corée du Sud. Barbie n’avait pris que 16 jours. J’ai tourné quatre films l’année dernière et dix en tout depuis mes débuts en 2002. Je suis drogué aux tournages et c’est aussi pour cela que je suis mon propre producteur. Si vous prenez l’exemple de Fire in Hell, jamais un producteur n’aurait accepté que je tourne la scène d’amour inaugurale dans un temple bouddhiste sans autorisation. J’ai d’ailleurs déjà plusieurs associations sur le dos et je risque d’avoir quelques sérieux problèmes bientôt. Mais je tenais absolument à cette scène, et il était couru d’avance que l’autorisation ne nous serait jamais accordée. Donc plutôt que de la demander, on a fait sans, dans l’illégalité la plus totale. Maintenant la scène existe, et c’est la seule chose qui compte pour moi.

Vous dites avoir réalisé dix films? On ne trouve trace que de cinq d’entre eux.

Comme je suis mon propre distributeur également, mes films ne sortent pas vraiment dans l’ordre et ne suivent pas forcément une logique de sortie régulière avec un ou deux films par an. Ce mois-ci trois de mes films sortent en même temps à Séoul, en plus de la présentation de Fire In Hell ici.  

La beauté plastique et visuelle de Fire in Hell est également remarquable. Vous êtes-vous inspirés de certains peintres, ou de certains cinéastes ?

Non, je m’évertue simplement à créer mon propre style.

N’y a-t-il pas des cinéastes américains qui vous intéressent ?

Mes deux films préférés sont Titanic et Ghost. J’adorerais faire ce genres de films.

(Rires, pensant qu’il allait plutôt citer des noms comme Abel Ferrara ou David Lynch ou Atom Egoyan). Mais cela ne ressemble pas du tout à vos films !?

En ce moment, j’ai le projet d’un film bien plus commercial pour bientôt. La préparation est en cours et le tournage devrait débuter au printemps, d’ici un an exactement. Il s’agit d’une reconstitution, d’un film en costumes. L’histoire de la première opération de chirurgie esthétique en Corée, dont nous retracerons l’origine depuis les temps reculés d’une ancienne dynastie.

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